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Quand ils sortirent de l’église, alors seulement leurs mains se déprirent. Mais leurs cœurs ne se déprirent point. Il n’y eut pas un mot d’explications sur le passé, ni de reproches, ni de pardon : on avait tous deux passé l’éponge. On parlait de ce qu’on venait de sentir ensemble, de l’amertume de la victoire… Ah ! si les vaincus allemands s’en doutaient, et qu’une France sous le bâillon est souffletée par l’injustice, l’hypocrisie, la rapacité des politiciens qui édictent en son nom ! Mais chez tous les peuples, il en est de même. Et presque aucun peuple d’après-guerre n’a plus la force de réagir. Ils sont un sable où s’engloutissent les bonnes volontés. Marc disait :

— « Chaque pas qu’on fait vous y enfonce. Nous sommes pris dedans, par l’en-bas. »

Annette, la main posée sur l’épaule, lui répondit :

— « Évadons-nous, par l’en-haut ! Si nous avons les jambes prises, dégageons-nous, de la tête et de la poitrine ! Se dégager, c’est l’œuvre de la vie. Elle ne sera complète qu’avec la mort. Mais au lieu que la plupart sont des morts vivants, qui se laissent, vivants, sucer dans la fosse, arrachons-nous aux sangsues du marais ! » (Et elle songeait à ceux de Roumanie). « Fais comme moi ! Ne te lasse jamais ! Et aide à sortir ceux qui s’enfoncent ! »

Marc sentait la vase du marais qui lui collait aux aisselles. S’il n’eût été dans la rue, il eût mis les bras, comme un enfant, au cou de Annette. Il était réconforté par sa présence. Et il la regardait avec amour, il était fier de ses paroles. Comment avait-il pu soupçonner ? Il lui prit le bras, il s’appuya ; il n’avait pas honte — c’était bon ! — de peser de tout son poids sur elle.

Et ce fut à ce moment que Annette lui apprit qu’elle devait de nouveau s’éloigner, pour quelque temps de Paris. Il en ressentit un regret cuisant, une peur d’enfant. Elle en perçut un frémissement. Elle dit :