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— « Tu ne joues que ta peau. Tu peux la jouer. Elle est à toi. »

— « Et toi, qui t’a ? »

— « Je ne joue pas seul. Dans toute partie, il faut compter non pas seulement avec l’adversaire — (ça, c’est le plaisir !…) — mais avec les partenaires. Partie liée. »

— « Et c’est ce que tu appelles être libre d’aller et venir dans la forêt ? »

— « C’est ce que j’appelle la forêt. »

— « Brise-la ! »

— « Tu parles en femme. Je ne peux que m’y faucher un rond. Mais la forêt couvre le monde. Elle nous tient… Et que m’importe ? »

— « Moi, il m’importe. Si elle me tenait, j’y mettrais le feu. »

— « Et tu brûlerais avec… »

— « Pourvu qu’elle brûle !… »

— « Et vive la Révolution !… Veux-tu un billet pour Moscou ?… Elle brûle bien, la forêt rouge !… Et je ne dis pas qu’ils aient tort ! La terre, dit-on, en produit mieux, après qu’on l’a brûlée… — Mais ce ne sera plus la terre où je serai. Je suis sur celle-ci. J’y reste. »

Non, il n’était pas facile de le faire sortir du fourré social du vieux monde. Il avait assez à faire de s’y tailler sa part. Et sa part était de taille. Mais il ne l’avait qu’en concédant la leur (donnant donnant) aux autres grands flibustiers. Ils étaient liés par leur duel même. Fer à fer. Annette apprit qu’on peut être un maître du monde, et être moins libre qu’un qui n’a rien. À condition que qui n’a rien ait une âme — ou (ce qui est le même) croie qu’il l’a. Mais ils sont rares. Le plus grand nombre n’en a point — ou (ce qui est le même) ne s’en doute pas. Annette était en puissance d’âme (comme on eût dit : en puissance de mari). Non qu’elle y attachât une question de survivance,