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— « Merci, patron, de me relever de ma faction ! Je vous passe le mot. »

— « Et quel est-il ? »

— « La tête claire. »

— « Claire de tête. Oui, c’est bien le mot qui t’habille. Va te coucher, claire de lune ! »

Ils se quittèrent affectueusement. Avant de quitter le salon, pour mettre en repos sa conscience, elle chercha des yeux sa protégée. Elle l’aperçut, dans un groupe, riant, fumant, un tantinet allumée (deux doigts de boisson lui tournaient la tête) ; elle ne prêta aucune attention à la sortie de Annette.

Annette se croisa, sur le seuil, avec le vieux monsieur américain, qui n’était pas plus curieux qu’elle de la suite de la soirée, et qui, comme elle, s’en allait se mettre vertueusement au repos. Il la gratifia d’un petit salut d’entente et d’un clignement d’yeux qui l’approuvait. Elle se retira dans sa chambre, au premier, au bout d’une aile tranquille de la maison, dont les fenêtres donnaient sur le grand parc. Elle était lasse, et eut plaisir à étendre son « clair de lune » (elle en riait) dans les draps frais. Elle n’était point mécontente de sa soirée. Elle ne s’était pas trop mal tirée, pour son âge, d’un jeu qui n’était pas sans dangers… « Pour son âge !… » C’était son âge qui l’avait aidée à s’en tirer. Mais, pour les autres, comment le jeu finirait-il ? À qui perd gagne, selon les règles ordinaires !… « Bah ! je suis bien bête d’y penser… » Elle prit, sans choisir, dans une petite bibliothèque vitrée près du lit, un volume finement relié, pour se distraire ; elle lut un peu, sourit, songea, et, les doigts encore dans les pages, elle s’endormit…

Une heure passa, deux heures peut-être, sans qu’elle eût fait un mouvement. Quand elle émergea (c’était encore la pleine nuit, la nuit d’été, claire, sans lune), elle était comme précédée d’un appel lointain et d’un remords. Le lit moelleux l’engloutissait, lui disait ;