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secrètement flatté du succès, qu’il n’avait pas prévu, de sa pouliche ; il la voyait sous un nouveau jour ; il appréciait en connaisseur « l’honneste dame » qui, sans passer la ligne du trop ou du trop peu, joutait si dextrement de la langue — et du palais : car elle ne boudait point devant son assiette. Elle était propre à tous les combats, et dans tous elle gardait l’équilibre. Le beau du compte était que, sans efforts, elle le faisait garder aux autres.

Mais, tout de même, ils n’étaient pas venus pour cela ! Et à la fin, se levant de table, Timon, prenant à part Annette, avec des égards qu’il ne lui avait jamais montrés et quelques rudes compliments qui ne furent pas sans la flatter — (quelle femme y est insensible ?) — l’invita à se dispenser de la suite peut-être bruyante de la soirée et à aller se reposer dans l’appartement qui lui avait été préparé. Elle comprit bien qu’il l’engageait à leur laisser le champ libre ; et il appuyait un peu trop sur les droits que son âge lui donnait au repos, après une fatigante journée. Mais sous le lourd manque de galanterie, il y avait une attention affectueuse et même une nuance de respect, auquel il ne l’avait pas habituée. Elle lisait dans son regard qu’il cherchait à lui éviter le risque probable d’incidents, où sa présence serait déplacée. Elle lui en savait gré. Et d’autant plus que la première intention de Timon, en l’amenant, avait été de lui en imposer l’affront. — Il y avait bien cette petite, sur qui elle s’était promis de veiller. Mais (n’exagérons pas la naïveté !) elle se rendait compte que c’était un rôle ridicule : on ne venait pas ici pour garder les demoiselles ! Et ce n’était pas au moment où Timon, lui rendant les armes, semblait lui dire : — « Pardon ! ta place n’est pas ici. C’est toi qui avais raison », — qu’elle allait lui répondre : — « Je reste, pour sauver la vertu… » De qui ? De ces brebis ? Elle n’aurait plus ensuite qu’à postuler des galons dans l’Armée du Salut… Elle rit et dit gaîment :