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connaissait de la comédie humaine, où lui-même était acteur, et des pitres-rois qui la menaient. Ces oreilles étaient son coffre-fort. Il le lui disait :

— « Gare à la caisse ! »

— « C’est vous, le caissier, répondait Annette. Vous avez la clef. Vous n’avez qu’à vérifier. Vous trouverez votre magot au complet. « 

— « Et rien de perdu ? Rien d’oublié ? »

— « Pas un centime. Le compte y est. »

Oui, elle n’oubliait rien de ce qu’il y avait mis. C’était dangereux. Pour qui, le plus ? La situation d’un dépositaire gênant, ou qui peut être suspecté de l’être, dans ces mondes-là, n’est pas de tout repos. Il suffisait de voir là, sur la table, ces poings d’étrangleur, pour s’en douter. Mais Annette les regardait, indifférente, et n’avait pas même l’air d’y penser. Et Timon était honteux de l’ombre du soupçon qui, un moment, avait passé. Non, rien ne sortirait de la caisse. Il avait la clef en poche.

Mais le coffre fut bien rempli. Annette fit son instruction politique. Elle pénétra derrière les coulisses. Elle apprit à compléter le mot du chancelier de Suède, que les perroquets de l’histoire nous répètent : il disait par combien peu de sagesse le monde était conduit ; mais il ne parlait que des mannequins qui sont en scène. Annette voyait ceux qui tirent les ficelles. Assurément, les souverains, les Parlements et leurs ministres, tout ce qu’on nomme les pouvoirs dirigeants, font figure de marionnettes avec des disques enregistrés pour occuper la galerie ; toute leur sagesse mise ensemble ne fournirait pas dix chevaux-vapeur pour faire marcher la machine énorme des États. Mais d’autres s’en chargent, derrière le rideau, qui la mettent en branle, et eux avec, ces battants de cloches. Les maîtres-sonneurs sont les Affaires et l’Argent. Le temps est passé de la politique. L’Économique règne. Et l’on ne peut pas dire sans doute