Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/172

Cette page n’a pas encore été corrigée

plia point, mais sans mérite, puisqu’elle ne le voyait point. Ce ne fut qu’au moment précis où il sortait qu’elle eut la perception, retardée, du silence ; et elle leva les yeux, demandant :

— « Mais qu’est-ce qui se passe ? »

Les voisins rirent :

— « Il a passé. »

— « Qui, lui ? »

Elle était à mille lieues… Elle sursauta, quand elle sut. Ils lui chuchotaient qu’il avait pris ses mesures, du haut en bas. Le vieux sous-chef les fit taire. Le patron laissait ouverte la porte de son cabinet. Et il ne paraissait pas d’humeur commode, aujourd’hui. Il devait avoir laissé de ses plumes dans une histoire. Gare au grain !… Le silence retomba sur la place. On n’entendait, bien sagement, que le claquètement des touches sous les doigts des dactylos. Et dehors, le grondement de la rue. Puis, éclatèrent des sonneries furieuses, et des coups de poing sur la table du patron. Annette entendit, pour la première fois, le hurlement de l’orang. Le vieux sous-chef se précipitait. Il y eut fracas, quand il entra. La tempête tonnait sur son dos. Et dans la salle, baissant le nez, les autres n’en menaient pas large. Du premier coup d’œil, naturellement, le maître avait griffé toutes les bévues amassées en son absence. On vit ressortir du cabinet, plus vite qu’il n’y était entré, le vieux sous-chef, comme un noyau pressé entre les doigts. Et par derrière, dans l’embrasure de la porte qu’il remplissait, la stature énorme de Timon, au haut des trois marches d’escalier. Il tenait, plein les mains, des feuilles. Et il gueulait :

— « Tas d’idiots ! Tenez, tenez, vos torche-cul ! » Il les lançait, à toute volée.

Ils rentraient la tête dans leurs épaules. Annette seule regardait. L’œil de Timon la foudroya. Elle continuait de le regarder, tout en tapant sa copie :