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vrant le visage de ses mains. Il lui arracha de la face les doigts crispés (l’un passait au travers du gant usagé), lui retourna la tête, lui releva le menton, et plongea sur la bouche avec brutalité. À cette seconde, il vit les yeux qui suppliaient ; et son cœur en reçut le coup de lance, mais moins prompt que le coup de bec avide qui déjà se plantait entre les jeunes lèvres, et y imprimait sa marque aux commissures. Il sentit sur sa langue le sang. Et dans le même moment, aux yeux le choc de ces yeux. Il sursauta, lâcha la proie, qui, n’étant plus enclavée, s’affaissa. Elle était devant lui, tombée sur les genoux, le visage caché dans ses bras, incapable de crier, immobile, inhibée, ne gardant plus de force que pour s’empêcher de voir, La rue était déserte. Un repli de maisons masquait le boulevard voisin, dont le torrent grondant, pareil aux projecteurs électriques qui font la nuit plus noire autour de leur trou de feu, amassait le silence dans le renfoncement où se tenaient en arrêt le chien et la proie — les deux enfants. — Marc jeta un regard trouble sur le corps à ses pieds, et, sans songer à le relever, s’enfuit…

Il erra dans un dédale de rues aux flancs de la Montagne Ste-Geneviève, redébouchant soudain à quelque brusque tournant sur le gargouillement de la Victoire en ribote, et refluant, comme un rat à la nage, de l’égout collecteur. Tardivement, il parvint à regagner l’escalier de sa maison enténébrée. Dans l’obscur corridor de l’appartement au cinquième, une lueur filtrait sous le seuil de la chambre de sa mère. Il se glissa dans son lit, sans allumer. Nu dans les draps glacés, enfin il retrouva dans la nuit son âme souffletée, qui le prit à la gorge, criant : — « Qu’as-tu fait de moi ? » Car c’était toujours à lui seul, non à l’autre qu’il songeait. Le ventre sur le sommier, il s’enfonça la bouche dans le traversin. Et alors, il se vit à la place, dans les membres de sa victime : ce tendre cou, ce