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leux (pourtant, déjà bien éculé) d’une presse libérale, dont l’exercice était un sacerdoce. Elle tombait de haut, dans la caverne des Quarante Voleurs, avec les Afrits, joutant de lances et de langues. Et toute la bande était menée par un roi des Afrits, plus horrifique que tous les autres ensemble, un minotaure dont les mugissements faisaient frémir un million de lecteurs, — Timon (il eût mieux fait de s’appeler : « Ubu » ) — toujours enclin à asperger ses hôtes de l’eau de son pot. La rédaction, qui se trouvait entre le maître et le dehors, recevait sa part de l’arrosage : elle était habituée au baptême ; et du haut en bas de l’échelle, chacun se secouait sur celui qui était dessous. La malheureuse femme qui siégeait sur l’escabeau, au dernier rang, recueillait tout. Pas une goutte n’était perdue. À la première pluie, elle essaya, horrifiée, de se révolter. Mais la révolte n’alla pas loin. Du premier coup d’œil, ils avaient soupesé la victime. Elle avait l’air d’une volaille effarée, qui gonfle ses plumes et court se jeter, pour l’éviter, sous les roues de l’auto. Ce fut un jeu. Les autos se mirent à ronfler. Il en sortait de tous les côtés. Ils se relançaient, de l’un à l’autre, la balle de plumes. On peut juger si l’ahurie était capable, en cet état, d’avoir la tête et les doigts à l’ouvrage. Elle n’arrivait pas à suivre, dans le brouhaha, les phrases hachées qu’on lui dictait ; elle restait, perdue, en arrière ; elle n’entendait plus le sens des mots, elle en oubliait l’orthographe — le suprême honneur, le pudendum de l’esprit bourgeois ! Le résultat, on l’imagine. Ils n’avaient aucun égard à l’âge et à l’émoi. Des apostrophes qu’elle encaissait, elle rentrait malade au logis, elle en pleurait dans son lit. Et l’énormité des propos qui se croisaient au-dessus de sa tête, dans la journée, continuait de l’assourdir, la nuit. Elle en pantelait, affolée, comme éventrée sous les outrages. — L’ultime coup avait été, cette après-midi, une pitrerie