Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/158

Cette page n’a pas encore été corrigée

leur sanglante orgie, d’autres sont venus après la guerre qui, à leur tour, sont en proie au rut affolant de l’action. Si la femelle leur manque, ils se brisent le front contre les barreaux de leur cage, comme les fauves des ménageries qu’un long supplice n’a pas encore avilis. Marc et Masson tournaient, en grondant, dans leur fosse. Et des centaines d’autres étaient comme eux, chacun isolé dans la sienne, chacun hurlant dans le fond de son cœur son agonie et sa fureur.

Mais c’est ici que le fils de Annette fut soutenu par son bon sang. Ce sang : peut-être pas celui de sa race. Il n’eût pas fallu remonter bien loin dans la Rivière ! Le mal et le bien y étaient mêlés. Mais chacun refait son sang, au cours d’une vie. Dans ses globules, le fier effort de Annette était inscrit. Marc avait beau être un assez sale petit garçon, comme le sont presque tous les petits mâles de vingt ans, quand on les prend à l’état de nature, bourbeuse et non filtrée. Avec une pensée (corps et esprit) profondément troublée, et dans un temps et dans des conditions de vie moralement épouvantables — (pas une foi ni dans les hommes, ni hors des hommes, pas un appui !) — il ne cédait jamais rien de son instinctive, de son absurde, de son héroïque volonté de se surmonter… « Surmonter quoi ? Soi ? Qui ça, soi ? Moi ? Ce moins que rien ? Ce moi qui m’échappe, que je ne connais pas, suis-je même sûr qu’il existe ?… Sûr ou non, je veux, je veux, je veux ! Je le surmonte. Je ne me laisserai sombrer avec lui… » — À ces moments, il parlait de soi, comme d’un autre. Mais de cet autre, il avait la garde. Même quand cet autre lui glissait entre les doigts, flanchait, tombait, se prostituait, il maintenait intact, contre lui, pour lui, pour le juger, pour le condamner, pour le relever, de fiers sentiments que son ironie corrosive bafouait pourtant, comme fossiles : honneur, orgueil moral,