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l’œuvre destructrice des journaux. Ils créaient des classes d’intoxiqués et d’inutiles. Les grands clubs achetaient, comme des chevaux, des écuries de professionnels, qu’ils dénommaient amateurs, et constituaient des équipes de foot-ball. Des milliers de travailleurs en pleine vigueur vendaient leurs muscles sans vergogne, jouissaient d’une vie de luxe, palaces et wagons-lits, comme internationaux de foot-ball, jusqu’au moment où, précocement, les muscles raides, leur valeur marchande tombée à zéro, ils étaient jetés au rebut, comme les charognes des gladiateurs, aux jeux de Rome. Mais du moins, les gladiateurs étaient morts. Les vies perdues, aux nouveaux stades, se survivaient. La plèbe spectatrice ne s’en souciait pas plus que celle de Rome. Il lui fallait d’autres athlètes, d’autres encore ! Et elle dépensait à ces spectacles toute la passion, toute la furie qui auraient pu, bien dirigées, d’un coup d’épaule, culbuter toute l’oppression sociale. Elle apportait un chauvinisme meurtrier aux matches internationaux. Les jeux dégénéraient en combats. Il y avait des tués. Et les « avants » au rugby devenaient des nettoyeurs de tranchées. C’était pour cela que les peuples rescapés du front avaient passé sous l’Arc de Triomphe ! C’était à cela qu’aboutissait leur serment de reprendre en main le contrôle de l’État et la refonte de la société ! Même pas le « panem et circenses… » Le pain, il fallait le gagner. Et les « circenses », les payer. L’exploitation de la badauderie et de la bêtise humaine avait fait des progrès, depuis la plèbe de Menenius Agrippa. Non, Masson n’était pas plus fier de son peuple, que Marc de ses bourgeois ! Quand il voulait faire la leçon à ses camarades ouvriers de l’imprimerie, ils le traitaient d’em… et ne se donnaient pas la peine de discuter. Le seul qui consentît à lui répondre, un ancien compagnon de la tranchée, haussait l’épaule :

— « Qu’est-ce que tu voudrais ? Qu’on se fît trouer