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en disponibilité dans le peuple de Paris que ne sait le voir la veulerie des chefs, et que lui-même ne s’en doute ! Faute d’emploi, il reflue en amertume.

Celle de Masson avait sur celle de Marc la supériorité d’être plus cruellement justifiée. Le jeune ouvrier était un « gazé » de la guerre ; il avait la mort dans le sang. Et il brûlait d’indignation contre l’abominable égoïsme, contre l’apathie de tous ces Français qui avaient traversé de telles épreuves, et qui ne faisaient rien pour en empêcher le retour. Il était particulièrement agressif contre la caste de Marc, les jeunes intellectuels bourgeois — (les vieux aussi. Mais ça ne valait pas la peine d’en parler ! Les vieilles carcasses, la mort se charge de les balayer)… Il traitait avec un sarcasme passionné leur hédonisme de pensée (car il lisait), leur indifférence aux souffrances du monde, cette fausse élite, qui a trahi, ces parasites bons à rien, cette vermine qui ronge les restes des rapines !… Marc avait des raisons de bien connaître la vérité de l’accusation ; il avait lui-même (pas longtemps ! ) ramassé les miettes sous la table ; dans son humiliation, son ressentiment contre Sylvie se rallumait. Il essayait pourtant, par une instinctive solidarité, que déjà sa conscience révoltée désavouait, de défendre la raison d’être et les mérites de la classe intellectuelle. Mais quand, sous l’âpre aiguillon des insultes de Masson, il tâchait de faire sortir les meilleurs intellectuels qu’il connaissait, de leur commode neutralité derrière le rempart de leurs livres, quand il voulait les faire agir, il constatait, à sa honte, que les jugements les plus durs contre la gent intellectuelle ne l’étaient pas encore assez. Ils avaient presque tous, les moyens — et beaucoup avaient les loisirs — de voir plus clair et plus loin que les autres. Il y avait un peuple prêt à suivre avec reconnaissance le premier guide désintéressé. Mais ils ne craignaient rien tant que d’être suivis par une armée trop décidée, qui