Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/149

Cette page n’a pas encore été corrigée

main devant la porte de l’église, où se soulageait la dame de ses pensées. Et comme la grippe et le froid mortel des marais lui tordaient aussi les entrailles, elle ne craignit pas, en Bourguignonne qu’elle était, dans la courette, sous l’égide du valeureux chevalier, de faire de même. Honni soit qui mal y sente ! Même Cléopâtre a la colique…

Ils remontèrent dans l’auto. Le prochaine gare était lointaine ; et quand ils y parvinrent, par des routes que le dégel défonçait, ce fut pour apprendre qu’un grave accident de chemin de fer interrompait l’Express-Orient, pour quelques jours : la voie ferrée était coupée, à la sortie des Karpathes, par des inondations. Botilescu offrit à Annette de la déposer dans un hôtel de Bucarest, en attendant que les communications fussent rétablies. Mais elle s’y refusa énergiquement ; elle avait hâte d’être partie. Bien qu’il eût été prudent de soigner en chambre son refroidissement, la fièvre qui cheminait dans ses membres et l’excitation de la poursuite la brûlaient d’une impatience irritée d’avoir quitté le pays. Elle avait la hantise morbide d’y laisser ses os. Quand elle se débattait dans les marais, elle ne songeait pas à avoir peur. Mais maintenant, la peur avait surgi ; la vase lui montait au menton : (l’odeur putride la poursuivit pendant des nuits ; elle la flairait, sous ses ongles) ; elle frémissait que cette glaise ne lui emplit la bouche, elle en avait l’étouffement. Elle voulut que Ferdinand la conduisît à Constantza, et elle monta sur le premier bateau en partance. C’était un bâtiment italien, qui, par un assez long parcours, retournait à Brindisi. Mais Annette n’écouta rien des objurgations que lui faisait Botilescu. Elle s’enferma dans sa cabine ; une fatigue écrasante la terrassait ; et elle resta seule en tête à tête avec sa fièvre, elle ne vit rien de la traversée. Elle n’avait plus qu’une pensée : — vivante ou morte, être rentrée.