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C’était un jour de la fin mars. Le pouls de la terre, encore gourd, se réveillait. Une fièvre cachée courait sous la neige épaisse, qui se ridait ; et les coins de l’étang glacé s’écornaient. Les nuits, on entendait passer dans le silence des cieux les cris des bandes de migrateurs. Carême avait été mis en terre ; et l’on s’invitait, de fête en fête, dans les châteaux. Les trois jeunes filles étaient parties avec leur mère pour souper et baller dans un domaine des alentours. Leur père, absent depuis quelques jours, était, dit-on, à Bucarest. Annette n’avait pas accompagné ses pupilles : quelques frissons dans les épaules, la tête lourde, un début de grippe, l’avaient retenue à la maison. Le soir tombait, et la nuit vint. Annette était étendue dans sa chambre, et elle ne faisait point l’effort d’allumer. Elle entendait, au-dessous d’elle, dans une salle du rez-de-chaussée, le tic tac d’une vieille horloge rouillée, qui boitait — et dans la plaine ensevelie sous l’ombre le grincement des essieux mal graissés d’un chariot. Elle s’assoupissait. Un bruit de serrure la réveilla. Elle ne chercha pas à le définir. Mais un malaise fut en elle, comme le bourdonnement sourd d’une gencive gonflée. Elle l’attribua d’abord à sa grippe. Puis, une pointe commença à lanciner la gencive, et l’endroit sensible se précisa. Ce n’était pas au dedans ; c’était au dehors qu’était le danger. Elle se souvenait d’avoir surpris Stefanica téléphonant à mots précipités, dont le sens obscur maintenant lui remontait à l’esprit, et elle revit ses airs troublés et cachottiers. Elle pensa qu’elle se trouvait seule, au château, avec une valetaille soumise, servile, bonne à tout faire, sourde et muette. Et elle sursauta, se rappelant le bruit de serrure qui l’avait réveillée. Elle se leva, alla à sa porte, et la trouva, cette fois, fermée à clef, du dehors. Juste à cet instant, elle entendit le ronflement d’une auto qui rentrait. Tout devint clair. Le maître se glissait dans la maison, comme un voleur. Elle poussa