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à Scylla. Par les fenêtres qu’elle ouvrit, pénétrèrent les escadrons ailés des moustiques. On entendait les grenouilles de l’étang, et, dans le lointain, à la prime aube, les cloches fêlées de monastères.

Les nuits suivantes, en attendant qu’on fît venir de Bucarest une literie neuve, nul ne trouva surprenant que Annette couchât sur un matelas posé sur le carreau. Il est vrai que les jeunes filles lui avaient offert place dans leur lit. Elles dormaient, à poings fermés, dans la grande pièce à côté, la bouche ouverte, avec un petit ronflement doux et régulier, les genoux relevés sous les draps défaits, les cuisses nues, invulnérables aux piqûres. Elles plaisantaient, le lendemain, les joues, le front, le nez gonflés de Annette, et ses chevilles tuméfiées. Elle riait aussi, en se grattant comme une damnée : il fallait payer l’impôt d’étranger ; quand la vermine l’a prélevé, on devient mithridatisé. À quelque chose malheur est bon : il était peut-être prudent de paraître laide aux regards désœuvrés du patron. Mais elle se faisait illusion si elle croyait qu’il s’arrêtait à ces bagatelles. Il tournait trop autour d’elle. Toujours empressé à la servir, lui témoignant d’excessives attentions, qui la rasaient, il la traitait, avec affectation, comme une invitée dans sa maison ; mais quand ses lourdes paupières se relevaient un peu sur ses yeux, elle y voyait luire des éclairs (vite amortis), peu rassurants. Il n’eût pas fait bon, à certains moments, se trouver seule avec lui. Les égards n’eussent point pesé lourd. Il l’eût traitée en jument. C’était ainsi qu’il en usait avec les filles de son domaine qu’il surprenait, trayant les vaches dans l’étable, ou pataugeant, liant les roseaux coupés dans l’étang. Elles se rajustaient après, en gloussant, l’air furieuses et satisfaites, comme les poules. Et ni la femme ni les filles du seigneur ne paraissaient l’ignorer ; elles n’y attachaient pas d’importance ; peut-être, au fond, étaient-elles fières de