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Véron était, ce jour-là, d’une humeur massacrante il portait un bras en écharpe. Marc lui demanda ironiquement si c’était pour une blessure de guerre. Véron sacra, parla d’un furoncle, injuria on ne savait qui, une guenon, rompit la conversation. En se séparant, Marc lui donna rendez-vous à la prochaine soirée du Val-de-Ruche — (du Val-de-Grâce) — il eût aussi bien dit : à la Semaine des Quatre Jeudis, car il n’avait aucun désir de retourner à ces réunions, Véron éclata d’un rire insultant, cracha de colère sur le boulevard, le traita de Veau-de-Ruche, et couvrit la donzelle d’ignobles épithètes. Puis, comme Marc, surpris de ce déchaînement, lui demandait quelle mouche le piquait, il s’interrompit brusquement, lui jeta un regard furieux, et lui tourna le dos.

Marc continua ses courses aux emplois. Dans cette lutte pour la vie, il était encore très maladroit : la fierté enseigne mal à se couler, comme une couleuvre, par toutes les fentes de la clôture qui protège le garde-manger. Mais en revanche, elle prête des forces enragées pour résister, aux pires heures où le corps est affaibli et l’esprit miné par le doute. Marc avait beau se dire : — « Je suis, je serai vaincu » — il ne le dirait jamais au monde ; et c’est le dire que renoncer à la lutte. Pas un instant, l’idée du suicide ne l’effleura. Est-ce qu’on se suicide sur le champ de bataille ? Ce n’est pas la mort qui manque ! On n’a même pas l’embarras du choix. Elle s’en charge. Non, ce qui manque, c’est la vie !… « Car tout cela qui m’entoure, ces femmes, ces hommes, ce tourbillon, ces corps-à-corps, ces accouplements, ce n’est point la vie, c’en est une moisissure. Mais la vraie vie, comment l’atteindre, où la trouver ? Existe-t-elle, seulement ?… Je n’en sais rien. Et cependant, une poussée irrésistible m’érige au nord, comme l’aiguille aimantée… Qu’est-ce que le nord ? Une banquise ? Un trou d’abîme dans les glaces éternelles ?… Je n’en sais rien. Mais le nord est là. Et il faut que