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lectualité qu’il a à attendre son pain. S’il veut vivre, il doit « déroger ». N’importe quel métier, dont le salaire lui permette de durer !… C’est déjà beaucoup, d’en être venu à en accepter l’idée ! Ce n’est rien. Il est bien question d’accepter ce que personne ne vous offre ! Le monde vous rit au nez : — « Tu peux garder ta magnanimité. Qu’ai-je besoin de toi ? »… Ils sont des centaines à guetter l’os qu’on jette. Marc arrive toujours en retard. Et, dans ces premiers chocs avec les autres, il est encore retenu par quelque pudeur : il laisse passer ceux qui sont devant, ou qui s’y glissent, ou qui paraissent faibles et dignes de pitié, ou au contraire trop effrontés : parce qu’en ce cas, il faudrait se colleter, et il a le dégoût de se salir les mains à ces collets gras ; quelquefois la fureur rouge lui monte au crâne : ce n’est pas des autres qu’il a peur, c’est de soi… (Le matamore ? « Retenez-moi ! »… Non ! l’ironie n’est point de mise avec ce garçon, qui se sent brusquement balayé par les ondes intérieures, et qui a l’angoisse de savoir qu’à ces moments sa volonté ne peut rien contre elles, qu’il est entraîné à la dérive. Il faut du temps et plus d’un ratage périlleux, avant d’apprendre, non à les refouler — c’est s’exposer à être détruit — mais à les diriger, en les utilisant comme houille blanche, forces motrices… Laissez-lui le temps ! S’il vit, il peut y réussir un jour. Mais vivre, c’est là justement le problème ! Le pourra-t il ? Et combien de temps ? Et comment ?…)

Il a fait le tour des maisons d’éditions et librairies. Après vingt démarches inutiles, il a été pris à l’essai dans une imprimerie de journal, équipe de nuit. Novice, maladroit, mal vu par ses compagnons de chaîne qui flairent en lui l’aristo et, au lieu de l’aider, l’embourbent, il est après trois nuits évincé. Il a, deux ou trois fois, à grand’peine trouvé des traductions à faire de prospectus, lettres commerciales. Sans lendemain. Sa connaissance des littératures échoue devant les