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rien devient tout. Et le tout devient rien. Et c’est comme une fissure, une fente imperceptible aux flancs du vase de vie ; et tout s’écoule et fuit…

Heureusement, ces rappels du passé étaient rares, et Brissot, assez habitué à l’insincérité, pour pouvoir se persuader qu’il ne les entendait pas. Quand on laisse derrière soi une heure sans gloire, le mieux est de se dire qu’elle n’a jamais existé. Brissot l’eût finalement annulée dans le panorama de sa vie occupée, si elle n’avait contenu que l’ombre silencieuse de cette femme et la sienne avec elle enlacée. Mai ? il y avait cet autre, qui ne se laissait pas effacer : — le fils.

Depuis que sa petite était morte, ce vivant le poursuivait. Il le rencontrait sans cesse, sur le chemin de sa pensée. Il ne connaissait point ses traits. Aux deux ou trois rencontres qu’il fit d’Annette, il ne put le fixer, et il n’était point sûr que l’image saisie en courant fût exacte. Une seule fois, il avait cru reconnaître, assis à quelques rangs de lui, dans l’autobus, le jeune garçon qu’il avait vu au bras d’Annette : ses yeux qui l’effleurèrent, étaient occupés d’une jolie voisine ; et Brissot l’observait, d’un regard attendri : son fils devait être ainsi… Mais en pouvait-il être sûr ?