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d’un petit bois, c’était comme s’il m’avait dit : « Viens !… » Un petit bois de chênes nains… Il était plein de linges ensanglantés, de lettres et de loques… Un régiment y avait été cerné… J’allais. J’étais menée. Père disait : « À quoi bon ? C’est assez. Revenez ! » — Au pied d’un chêne, à l’écart, je me suis baissée, j’ai ramassé dans la mousse un chiffon de papier, j’ai regardé… Ma lettre ! La dernière qu’il ait ouverte !… Et son sang était dessus… J’ai baisé l’herbe, je m’y suis couchée, à la place où il s’était étendu ; c’était notre lit ; j’étais heureuse ; j’aurais voulu y dormir toujours. L’air était rempli d’héroïsme… Elle avait un sourire d’extase désolée. Annette n’osait plus la regarder…

M. Girerd paraissait pétrifié. Inflexible, il avait repris son métier. Il ne causait avec personne. Mais, dans son cours, dans ses discours, dans des articles véhéments, il prêchait la croisade implacable, il s’acharnait, il tuait l’âme de l’ennemi, il la souffletait, il la retranchait de l’humanité. Dans la maison, chacun le saluait, mais l’évitait : son regard, quand il passait, semblait un blâme pour ceux qui vivaient encore. Ils se sentaient coupables envers lui. Et leur instinct, pour se trouver un bouc émissaire, ramassait en faisceau l’accusation diffuse et s’accordait pour en diriger