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écorce d’arbre gelé, qui devient pierre. À peine si remontait, par bouffées, le chaud, quand arrivaient les nouvelles de celui qui était parti. Elle les lisait, les yeux secs, le cœur figé : il lui avait volé, en la quittant, le soleil des nuits. Après avoir lu, elle froissait le papier et le gardait en boule dans son poing. Cependant, elle lui répondait une lettre brève et incolore, où rien ne perçait de ce qu’elle souffrait ni de ce qu’elle aurait voulu faire souffrir. Elle ne dissimulait point ; elle était de celles pour qui écrire ne semble fait que pour parler de ce qui est autour, — rien de ce qui est au fond ; — de ce qu’on fait, — rien de ce qu’on pense, rien de ce qu’on est. À elle-même, elle n’en parlait point. Pour converser avec son cœur, il faut sentir battre son cœur. Son cœur était crispé sous le gel. La souffrance même était raide. Et comme une barre, la rancune.

Mais, au printemps, la glace fondit. Un jour, Marc l’entendit rire. Elle allait et venait dans la chambre ; et se mirait. On la rencontra dans l’escalier. Elle sortait tard. Elle était mise avec goût : fille de Paris, elle avait l’instinct de la toilette ; la ligne de son corps gracile et ses mouvements étaient souples, comme d’une chatte : elle en avait le feu qui dort, et la froideur dans les yeux. Elle passait sans bruit ; elle évitait de s’arrêter ; elle saluait, d’un signe de tête ; si on lui parlait, elle