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Tranquillement imbue de son éducation scientifique officielle, des temps où la relativité n’avait pas encore tout fait chanceler, Annette est habituée à accepter ce qui est, comme un ordre de phénomènes, qui est une fois donné, et que régissent des lois. La guerre fait partie des lois de la nature. Il ne lui est pas venu sérieusement à l’idée de nier les lois de la nature, ou de s’y opposer. Elles ne ressortissent pas au cœur, ni même à la raison ; mais elles commandent celle-ci et celui-là : on doit les accepter. Annette accepte la guerre, comme elle accepte la mort, comme elle accepte la vie. De toutes les nécessités qu’on a reçues de la nature, avec le don énigmatique et sauvage de la vie, la guerre n’est pas la plus absurde, ni, peut-être, la plus cruelle. Et quant à la patrie, le sentiment d’Annette n’a rien d’exceptionnel ; il n’est pas très brûlant, mais elle ne le met pas en question. Elle n’y a jamais songé, dans la vie courante, pour en faire parade, ou pour l’examiner. Lui aussi est un fait. Or, à cette première heure où la guerre, comme le marteau de l’horloge sur la cloche, vient le faire sonner, il paraît à Annette que c’est une partie d’elle-même, une vaste province engourdie, qui s’éveille. Et sa première impression est d’en être élargie. Elle était comprimée dans la cage de son individualisme. Elle s’échappe et détend ses mem-