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joli garçon, fines moustaches blondes, yeux pâles, un peu fade. Les affaires du monde, la banque, la politique, — avouons-le ! la patrie — lui sont indifférentes, totalement, absolument, La seule affaire au monde, pour lui, est cette petite femme qu’il a prise (ou si c’est elle ?) il y a trois mois. Quels mois !… Ils n’en ont pas assez. Les doigts leur tremblent, quand ils évoquent, entrelacés, les nuits passées. Comme elle le tient, cette passionnée ! … Une petite ouvrière de Paris, qui l’adore comme un dieu, un dieu qui est à elle, son bien, son jouet, son chat, son animal familier, son âme, si elle en a une, ses entrailles, son tout, sa propriété ! … Elle est une brunette maigre, frêle, fiévreuse, des yeux veloutés, des lèvres comme un fil rouge dans le visage blême, qu’elle s’applique à farder ; par la passion tout le sang est sucé. — Et lui, complaisamment, il se laisse adorer ; il n’est pas étonné ; il s’abandonne à la dévorante ; et chacun est proie, à son tour. Aucun ne songe que le jeu doive finir. La vie n’a pas un autre sens…

Mais quand la guerre vient le chercher, il se lève sans protester. Ce n’est point gai, et il n’est point brave. Il en pleurerait, de ce qu’il quitte, et de ce qu’il va trouver. Mais il craint d’être ridicule et méprisé, s’il laissait voir sa faiblesse. Aimer trop n’est pas d’un homme. — Elle a bien compris Elle lui crie :