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à sa fièvre. Chacun avait la sienne. Et dans les ténèbres protectrices, elle essuya les larmes qui la brûlaient. Les propos de deux voisins la rejetaient dans l’action.

Ils disaient que le train avait changé de trajet, et qu’il filait à gauche, au lieu de suivre la ligne du Bourbonnais. Elle trembla. Le rendez-vous était manqué !… Le front collé contre les vitres, ses yeux fouillaient sans voir les masses d’ombres qui fuyaient, et elle ne reconnaissait point le parcours. Mais, au premier arrêt, elle eut un sursaut. C’était la station convenue…

Elle regarda… Deux paysans. Quelques soldats. Nul ne monta, qu’elle attendait. Elle fut certaine que l’affaire avait échoué. Rongée d’angoisse, elle tâcha de parcourir les couloirs des wagons. Mais on pouvait circuler à peine, entre les corps entassés… Le train avait repris sa marche, puis, de nouveau, s’arrêta entre stations, à cause de travaux sur la voie ; et, de nouveau, les lumières étaient éteintes. À l’aveuglette, le front baissé, Annette s’efforçait de remonter le courant figé ; elle se trouvait prise, dans une banquise… Le train s’ébranla, la lumière revint ; et Annette vit, à cette lueur fumeuse de quinquet — debout contre elle, dans le couloir, celui qu’elle cherchait !… Face contre face… Dans la joie qui les illumina, leurs bouches se joignirent… Il y a trop à dire !