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Annette lui concédait beaucoup, en faveur de la vieille belle-maman, qui vivait avec elle. On ne pouvait être plus différentes que les deux femmes : la Trottée, forte en gueule et taillée à la serpe, de gros os, et charnue, un grand nez bourguignon qui enfonce les portes ; et la mère Guillemette, menue, calme et fluette. Elle avait passé la soixante-dixième année. Mariée en secondes noces à un cultivateur de la région d’Arras, elle avait, pendant la guerre, reçu copieusement le baptême du feu. Tout son petit avoir, sa maison, avaient été détruits ; et le vieux mari en mourut de chagrin. Elle, avait accepté. Pendant des semaines, elle se trouva seule sous le bombardement de ses compatriotes, avec des soldats allemands ; elle ne montra aucun ressentiment, ni contre ceux qui anéantissaient son bien, ni contre ceux qui attiraient sur sa tête le désastre. Elle plaignait ses ennemis campés chez elle, qui partageaient ses dangers, et elles les étonna par sa dignité. Quand elle se rendit compte que tout effort était vain pour éluder son sort, et que sa vie de laborieuses économies avait été pour rien, elle indiqua à ses hôtes les cachettes où elle avait réussi à dissimuler le peu qui lui restait de ses provisions, son petit trésor ; elle leur dit :

— Mes pauvres garçons, prenez ! Autant que cela vous profite, tandis que vous êtes en vie !