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qu’en la grattant, en la frottant aux autres. Penser, était pour lui, toujours, un acte agressif. Penser, c’était projeter sa pensée, l’asséner sur un autre. Qu’elle y entre, de gré ou de force !… Annette paraît indifférente à ce que les autres pensent, ou non, comme elle…

Indifférente, non, elle ne l’est pas ; mais elle sent, d’instinct, qu’il en est des pensées comme des pousses des plantes. Qu’elles mûrissent lentement ! Si elles devancent l’heure, elles seront brûlées, au premier retour du froid. Autour d’elle, dans ces âmes, c’est encore l’hiver. Il n’est pas temps pour elles de sortir de leur léthargie. Leur léthargie endort leurs souffrances et leurs doutes. Un réveil trop précoce les anéantirait.

Sur le pas de sa porte, Annette entend vociférer, à l’étage au-dessus, Perret, l’ouvrier. Il discute violemment avec un camarade. En permission de quelques jours, il est revenu ulcéré. Tout ce qu’il a vu au front, tout ce qu’il a retrouvé à l’arrière, le gâchage des vies, le gâchage des biens, la perte des illusions, la démoralisation à son propre foyer, la fille qui fait la grue, les femmes qui font les dindes avec l’argent aussitôt gaspillé que gagné dans les usines de meurtre, l’ont enragé de révolte contre les compagnons, contre les chefs, contre le monde. Et pourtant, il s’obstine avec rage dans son : « Jusqu’au bout ! » Au cama-