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L’îlot demeure immobile, mais dans le tourbillon, c’est lui qui paraît tourner. Étrangère à l’agitation, Annette en subissait le vertige.

C’était, chez les deux amis, une exaltation de l’esprit qui a perdu contact avec la réalité, — un lien de chevalerie créé par l’âme passionnée contre un monde qui le nie, sous l’empire d’une révolte exceptionnelle contre une exceptionnelle oppression. Cette chevalerie avait un caractère héroïque chez l’aîné, le plus fort, — chez Germain — qui protégeait le plus faible dans la mêlée, et, succombant, reportait sur le jeune compagnon tout ce qui lui restait d’attachement à la vie. Chez le cadet, isolé dans un monde ennemi, elle prenait une couleur d’adoration mystique pour l’ami protecteur, que l’éloignement rend presque surnaturel, comme les saints patrons sur leurs autels. Il avait fallu la guerre pour donner aux sentiments cette déformation, qui les magnifiait. Dans une époque normale, ils se fussent maintenus à ces hauteurs moyennes, où campe la vie quotidienne. Le danger et la fièvre les avaient soulevés jusqu’aux sphères où l’on n’atteint que par les ailes de l’oraison. Pour les cœurs entiers, qui sont déjà plus qu’à moitié détachés de la vie, l’amitié, comme la prière, est un des chemins qui mènent au divin. Aucun des trois qui communiaient en elle — Germain, Franz et Annette —