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taires, qui se suffisent : soi est un monde. — Il était un tendre garçon de vingt-sept ans, resté adolescente, que dévore le besoin d’épancher en un cœur accueillant et plus fort la source de son cœur comprimé. Le ruisseau est trop faible pour aller à son but, s’il ne trouve la rivière d’amour qui l’emporte. Il se donne, par égoïsme. Car être pris, c’est prendre. C’est remplir de son flot une âme qui creuse pour vous la vallée… Il l’avait retrouvée. Il exultait.

Pour peu d’instants… En quelques jours, cette première joie fut épuisée, et le cœur impatient ne sentit plus que l’éloignement. Il cria de désir et de dénuement. Ses lettres sans précision décrivaient peu, appelaient. Et sans doute, la censure eût prohibé tout détail précis sur la vie du camp. Mais de toutes les contraintes, c’était celle qui pesait le moins sur le jeune prisonnier. Son moi absorbant avait peu le temps de songer à ceux des autres. Il se racontait avec une confiance naïve, touchante, excessive. Il avait cette sentimentalité fiévreuse, indolente et dolente, de certaines âmes d’Autriche, un peu mignardes, un peu geignardes, que sauvent la grâce et la jeunesse. Son chant était un lied, en forme de rondo perpétuel, d’une tendresse élégiaque. Le rossignol s’y épuisait. Mais il s’écoutait chanter. Son cœur saignait. Il pleurait sur son cœur. Même celui