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Sur sa demande, elle lut désormais les lettres des deux amis. Le flot de tendresse passait par elle. Elle y mêlait sa couleur propre et son feu. Chacun des deux n’aimait que pour soi. Elle aimait pour deux et pour elle. Elle était l’arbre où se rejoignaient les deux oiseaux. Elle écoutait dans son feuillage le chant de l’ardente amitié. Un air nouveau, un ciel plus jeune, baignaient ses branches allégées. L’âge et la guerre étaient effacés…

Duo étrange et merveilleux ! Quand Annette, pour mieux l’entendre, fermait les yeux, il lui semblait que l’une des voix fût d’une jeune fille, l’autre d’une femme maternelle Celle-ci avait les bras tendus. Celle-là s’y jetait.

Le premier chant de Franz avait été de délivrance éperdue. Le refuge, enfin ! Il étouffait, depuis trois ans, dans la promiscuité écœurante des âmes et des corps entassés. Nul n’en avait, plus que lui, le dégoût aristocratique… N’être jamais seul ! La pire solitude !… On se perd soi-même ! … Il n’avait pas l’humanité débordante de ces cœurs trop riches qui, ce qu’ils ont de trop, le ruissellent autour d’eux… Perdu, ou non… « Troupeaux, buvez, ou pataugez ! Si ce n’est vous, la terre boira !… » Il craignait de partager sa vision de la vie avec des yeux incapables de la refléter. — Et, d’autre part, il lui manquait la magnifique plénitude des grands artistes soli-