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manqué !… Quand on ne l’a jamais eue, on s’habitue à vivre dans la modicité ; et, sage par dénuement, on n’attend rien de plus de la vie. Mais quand elle paraît, celle qui de deux esprits fait une pleine harmonie, on voit bien qu’on l’attendait dans la mélancolie ; et l’on ne conçoit plus comment on avait fait pour vivre sans elle, — l’Amitié ! … Mais cette découverte, on ne peut la partager qu’avec ceux qui l’ont faite. Aucun des miens n’a pu comprendre les raisons de notre intimité… Les raisons ? Point de raisons ! On a besoin l’un de l’autre, pour être soi. On n’est complet qu’ensemble… C’est bien là ce que les autres ne peuvent pardonner ! Car si l’on est complet ensemble, les autres se jugent lésés.

— Je n’ai pas ce sentiment, dit Annette. À défaut de l’amour, qui m’a toujours manqué, j’adopte celui des autres. Tous ceux qui s’aiment, m’aiment.

— Quel appétit ! dit Germain.

Annette répondit :

— Je n’ai rien à manger.

— C’est justement pour cela. Heureux ceux qui n’ont rien, car tout leur sera donné ! Annette hocha la tête, d’un air désabusé :

— C’est une parole de riche. On persuade le pauvre qu’il est le plus comblé.