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Tous, ils aiment leurs fils. Ainsi que les neuf dixièmes des familles françaises, ils ont tout bâti sur eux. À peine entrés dans la vie, dès vingt-cinq ou trente ans, ils reportent sur leurs enfants, au prix de sacrifices obscurs et quotidiens, leurs joies qu’ils n’ont pas eues, et leurs ambitions qu’ils ont renoncé à réaliser, de leurs mains. Et, au premier appel, ils les donnent, ces fils, sans récrimination…

Mme veuve Cailleux, au cinquième. Elle a près de soixante ans. Elle en avait trente-trois, et le garçon huit à neuf, quand le papa est mort. Depuis, ils ont vécu ensemble, sans se séparer. En une dizaine d’années, ils n’ont point, je crois, passé un jour entier, qui ne fût sous le même toit. On dirait un vieux ménage. Car, quoiqu’il n’ait pas atteint la quarantième année, Cailleux fils, Hector, a déjà l’air d’un fonctionnaire retraité ; et sa vie est finie, avant d’avoir commencé. Il ne se plaint pas de son sort. Il n’en voudrait point d’autre. Le père était employé des postes. Le fils l’est, à son tour. D’une génération à l’autre, on n’a pas avancé, on se retrouve au même point. Mais se maintenir au même point, n’être pas retombé, sait-on quelle somme d’efforts, souvent, cela représente ? Qui ne perd point, il gagne, — quand on est faible et peu fortuné. Pour élever son fils, la mère, sans ressources, a dû servir comme