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avaient extorquées, et, bons garçons, ne gardaient point pour eux leur amusement ; leur cercle en profitait. Franz était exhibé en société, comme une curiosité sympathique et comique. Naturellement, ses « patrons » (ils s’estimaient tels) exploitaient sa complaisance et sa timidité. Madame le faisait trotter pour ses commissions ; ou bien, elle l’emmenait dans les grands magasins, afin de la conseiller et de porter ses paquets. Monsieur lui infligeait la lecture de ses élucubrations, et se déchargeait sur lui des démarches ingrates auprès des bureaux de rédaction. Il était le famulus, corvéable à merci. En échange, on le poliçait, dressait, on le bourrait de conseils qu’il ne demandait pas, on cambriolait ses pensées, on crochetait la pudeur de ses sentiments cachés, on les étalait, ridicules et tout nus, pour son bien : il eût fallu être un ingrat, pour s’en plaindre.

Il ne se plaignait de rien ; mais, grâce à Dieu, il fut, pour son bien, un ingrat… Je le vis, sur-le-champ. Sous le sourire contraint, dont il devait accepter les paroles flatteuses et dérisoires qui le présentaient, je lus la souffrance irritée et l’ombre de l’accablement. Je n’eus pas besoin d’explications pour comprendre. D’un regard, j’avais mesuré, entre son patron et lui, la distance. Et quand l’autre eut parlé, je m’adressai, sans répondre, à celui qui s’était tu, — avec la pitié et le respect