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d’y enfoncer la pointe, afin de faire crier. Mieux vaut ne pas s’armer que s’armer à moitié…

À la mort de son père, Franz s’échappa de son pays d’origine. Il vint à Paris, et il tâcha d’oublier le mauvais rêve de son enfance. Mais le passé dont on souffre est une peau de chagrin. Le temps la rétrécit. La chair n’en est que plus meurtrie. Paris exerça pourtant son attrait sur le jeune garçon, sevré de beauté plastique. Elle y est l’élément naturel, on le respire tout pur ; et son amoralisme même est un bienfait de plus. Mais Franz était trop habitué à la vie intérieure, pour n’en point sentir le manque, autour de lui ; il souffrit de l’ironie et de la sécheresse de cœur. Il avait des croyances ; elles chancelèrent toutes. Contre le scepticisme et le souffle du plaisir, il était incapable de se défendre seul. Ils n’étaient point dangereux pour les amis, qui se faisaient un jeu de déniaiser le Huron. Rien n’est dangereux pour ceux qui ne prennent rien au sérieux, car rien ne les prend au sérieux. Mais lui, il a beau faire ; tout, pour lui, est sérieux… Il coulait à fond, avec le dégoût mortel de ne pouvoir résister.

C’est à cette heure que je le rencontrai. Les amis, braves gens, point délicats, qui me le présentèrent, l’aimaient bien : ce qui, chez cette sorte d’hommes, était une raison pour le traiter sans façons. Ils s’amusaient des confidences qu’ils lui