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temps n’avait point duré. Son charme déchirant et morbide s’était effacé. De tels états ne peuvent se prolonger que par des moyens factices. Le cœur demande grâce, le cœur veut oublier. Pour le forcer à se souvenir, il faut le mettre à la chaîne et le martyriser. Il est l’esclave attaché à la meule, sous le fouet de la volonté. Lydia se raidissait dans la pensée du mort :

— « Pense à lui ! Pense à lui !… »

Et ce n’était pas assez :

— « Pense comme lui !… »

Elle avait abdiqué toute sa propre pensée, pour épouser toute celle de l’être qu’elle voulait arracher à l’oubli — à son oubli… (tragiques luttes des âmes, dans le silence des nuits, contre la mort qui envahit le trésor de leur amour !…) Elle s’était bardée de cet idéalisme d’idées sèches et brûlantes, qui était le tissu d’âme des Girerd : ils parlaient par sa bouche, sa jeune bouche de tendresse navrée.

Et c’était si étrange et pénible à entendre !… Annette écoutait, glacée, et elle ne pouvait pas répondre. Elle sentait l’insincérité volontaire, l’effort héroïque et mensonger de la chère fille, pour croire à ce qu’elle ne croyait pas, pour penser ce qu’elle ne pensait pas. Et elle ne pouvait pas répondre ! Car elle savait l’inhumanité qu’il y aurait à la démasquer. La frêle plante brisée, c’était cette armature qui l’empêchait de tomber !…