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(vous, les vôtres, aussi bien les meilleurs que les pires, oui, même les sangsues qui vivent de la peine des autres) — vous dites que le travail est beau, que le travail est sacré, et que qui ne travaille pas n’a pas le droit d’exister… C’est parfait. Mais est-ce que vous vous faites seulement une idée du travail par contrainte, sans relâche, sans pensée, sans espoir d’en sortir, le travail asphyxiant, aveuglant, empoisonnant, le travail attaché à la meule, comme une bête qui tourne, — jusqu’à l’heure de liberté, qui est l’heure où on crève ? Est-ce que ce travail-là est beau ? Est-ce qu’il est sacré ? Et ces autres qui en vivent, après l’avoir ainsi déshonoré, est-ce qu’ils ne resteront pas toujours, pour nous, des étrangers ?

— Mais moi, je n’en vis pas !

— Vous en vivez aussi. Votre jeunesse abritée des soucis, de la faim, votre école, vos loisirs d’apprendre tranquillement, pendant des années, sans avoir à songer au pain quotidien…

Du coup, Marc se souvint, pour se défendre, de ce qui n’avait jamais occupé sa pensée :

— Ce n’est pas à votre travail que je le dois, c’est à celui de ma mère.

Pitan, intéressé, se fit raconter la vie courageuse de la mère. En la décrivant, Marc la découvrait ; à sa fierté se mêlait une confusion, qu’un mot de Pitan éclaircit :