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font, on peut vous dire ce qu’ils veulent, ce qu’ils pensent, et même ce qu’ils souffrent. Mais est-ce que vous le sentez ? Lorsque j’ai mal aux dents, vous vous apitoyez ; mais si vous n’avez pas mal, vous ne sentez pas mon mal.

— J’ai mon mal, moi aussi.

— Sûrement. Je ne m’en moque pas, comme font ceux-là qui disent qu’auprès de la vraie souffrance de ceux qui sont condamnés à une vie de misère, la souffrance bourgeoise est du luxe, fabriqué pour les inoccupés. C’est du luxe, peut-être, — hors la maladie et la mort, bien entendu, — quoique même la maladie et la mort ne soient pas les mêmes pour tous…

— Elles ne sont pas les mêmes ?

— Non, mon petit. Être malade et mourir, bien tranquille, dans son lit, sans avoir à songer à ce qui adviendra des nôtres, — c’est du luxe, ça aussi. Mais ceux qui vivent dans le luxe ne s’en aperçoivent plus ; et pour quoi que ce soit qu’on souffre, réel ou fabriqué, la souffrance n’est jamais du chiqué. Aussi, je les plains tous, les vôtres et les nôtres. Chacun a ses ennuis, qui sont faits à sa mesure… Seulement, ils ne se ressemblent pas.

— On est pareils, Pitan.

— Mais la vie ne l’est pas… Tenez, le travail, qu’est-ce que c’est pour vous ? Vous dites —