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vait qu’en l’extirpant de la glaise de silence où son esprit était englué. Il lui fallait aérer cette lourde vie intérieure, envasée pendant ses éclipses d’hémiplégie bisannuelles. Penser, pour lui, c’était penser tout haut. Et puis, il avait besoin d’un autre, pour se penser soi-même. Ce solitaire était né fraternel.

Parler ne l’empêchait pas d’observer, d’écouter. Marc s’aperçut, longtemps après, que tout ce qu’il avait dit, Pitan l’avait retenu, médité, tourné et retourné, comme avec une bêche.

Il crut avantageux de faire parade devant lui, ainsi que devant les autres, de ses déboires de petit bourgeois, de ses révoltes de collégien, qui s’émancipe des préjugés et des obligations de sa classe. Casimir et ses compagnons lui en avaient tenu compte, — sans se départir de leur attitude de supériorité. Ils avaient l’air de lui décerner un bon point : ce qui flattait Marc, mais qui le mortifiait. Pitan ne manifesta ni louange ni dédain. Il hochait la tête, tandis que Marc se racontait ; puis, il reprenait son soliloque… Mais plusieurs jours après, attendant la sortie d’ouvriers, à distance d’une usine, entre les hauts murs alignés d’où s’allongeaient les cous rouges des gigantesques cheminées et les anneaux pesants de leurs fumées, — Pitan, sans autre exorde, dit :