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de guerre. Le chiffre de ce qu’il gagne par jour écrase le petit bourgeois, qui ne possède rien, qui ne gagne rien, qui n’est capable de rien que de dépenser. Casimir n’abuse pas de sa supériorité ; il la connaît depuis longtemps ; peut-être l’échangerait-il contre cette infériorité bourgeoise, qu’il méprise et envie, depuis qu’il est né. Mais, cette nuit, il ne pense pas au mépris ni à l’envie. L’attrait est plus fort. Ce visage entrevu tout à l’heure, ce monde humain inconnu… Il l’est aussi, pour Marc. Ils aspirent à s’explorer. Les barrières sont levées. Marc ne vient-il pas de s’évader de sa classe ? (Quelle est sa classe, à cet enfant sans père ?) Entre eux, égalité.

Mais Casimir est l’aîné. — Il ne s’agit pas de l’âge. À quelques mois près, cela ne vaudrait pas la peine d’en parler. — Il l’est par les expériences de la vie des faubourgs, amassées.

Marc se tait, confus et avide d’entendre. Son silence est ce qui le sert le mieux. Il a l’air de savoir ce que l’autre ignore. Et quand il se risque à parler, c’est par mots brefs, hachés, sur un ton d’ironie, qui fait illusion.

L’illusion ne tient pas longtemps. Il ne faut pas la voir de près, et son visage de fille, à la lueur de lampe du café, où Casimir l’entraîne. Sa gêne et sa naïveté s’avouent, au regard de l’autre, ce regard aigu et furtif, en vrille de la vigne, qui