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— « Les Russes, ils sont mabouls !… »

Il y a ceux qui, sans pouvoir s’expliquer, disent :

— « C’est épatant… »

Il y a ceux qui ne disent rien. Ce sont ceux qui sont touchés. Mais jusqu’où, et comment ? Il est difficile de le savoir. On n’en tirerait point une seule parole du cœur.

Annette couve du regard un petit auditeur, un blondin, maigriot, au nez long, aux traits fins, bien peigné, à la poitrine étroite, qui toussote et regarde d’un autre côté. Il est intelligent, timide, pas très franc, comme les enfants qui se savent faibles et qui ont peur de se livrer. Elle soupçonne en lui le tressaillement de l’âme. Pendant la lecture, quand elle levait les yeux du livre, elle rencontrait ceux de l’enfant oppressé, qui se hâtait de repiquer le nez dans ses papiers. Ce petit est capable de penser parfois à la souffrance, parce qu’il est lui-même maladif et nerveux ; l’égoïsme est souvent la clef de la pitié. Qui souffre pour soi a chances de s’éveiller à la souffrance des autres.

Annette le retient après la classe. Elle lui demande s’il aime Petia, ce jeune frère. Il est rouge, il est troublé. Elle évoque de nouveau le rêve de la dernière nuit de l’enfant poétique. Comme c’était beau la vie ! la puissante vie fragile ! La vie qui aurait été ! la vie qui ne sera pas !…