Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 3.djvu/107

Cette page n’a pas encore été corrigée

d’une génération, (cela s’appelle : « devancer », cette force du passé, qui marche à reculons !…) S’ils avaient, en naissant, des linéaments propres, dès avant d’entrer au collège, on les distingue à peine : ils sont marqués du cachet de leurs propriétaires — les pères — qui sont eux-mêmes timbrés de celui de la parenté et de la communauté. Ils ne s’appartiennent plus. Ils sont à la Force anonyme qui a, depuis des siècles, rassemblé en cités ces chiens de prairies, répétant les mêmes gestes et les mêmes aboiements, rebâtissant pareilles les mêmes huttes de pensée. Le collège est l’atelier qui enseigne le doigté de la machine à penser. Que peut, pour les affranchir, une initiative isolée ? Il faudrait leur enseigner, d’abord, à ne plus chausser les pensées des grands. Or, ils mettent leur orgueil à se camoufler en grands. Moins ils pensent par eux-mêmes, plus ils sont heureux et fiers. — Et, mon Dieu ! avec les grands, il n’en va pas autrement. Ils s’épanouissent, quand ils ont abdiqué leur jugement personnel (cet encombrement !) dans la pensée en gros, dans l’opinion de masse, qu’elle se nomme École, Académie, Église, État, Patrie, — ou qu’elle ne se nomme pas, et qu’elle soit l’Espèce, — ce monstre aux yeux sans lumière, auquel on attribue une sagesse providentielle, et qui rampe au hasard, plongeant sa trompe gloutonne.