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nette, glissaient sans s’arrêter. Maintenant, elle était tendue. Quand elle ne s’observait pas, en société, ou qu’elle n’était pas distraite par la présence de l’enfant, elle tombait dans le mutisme, une barre entre les sourcils. Si elle s’en apercevait, elle s’éclipsait sans bruit. Qui se fût inquiété d’elle l’eût trouvée dans sa chambre, rangeant, faisant son lit, retournant le matelas, frottant les meubles ou les carreaux, dépensant plus de mouvement qu’il n’était nécessaire, et ne parvenant pas à étouffer l’esprit, qui bruissait. Elle s’arrêtait, au milieu d’un geste, debout sur une chaise, un chiffon à la main, ou penchée sur l’appui de la fenêtre. Alors, elle oubliait tout, non seulement le passé, mais aussi le présent, les morts et les vivants, et jusqu’à son enfant. Elle voyait sans voir, elle entendait sans entendre, elle pensait sans penser. Une flamme qui brûle dans l’espace nu. Une voile au vent du large. Elle sentait le grand souffle qui passait dans ses membres ; et le navire vibrait, de toute sa mâture… Puis, de l’illimité ressortait le visage des choses qui l’entouraient. De la cour de maison sur laquelle Annette était penchée, montaient des bruits familiers ; elle reconnaissait la voix de l’enfant au parler chantant. Mais son rêve ne s’interrompait pas ; il prenait un autre cours… C’était un chant d’oiseau dans une après-midi d’été… cœur ensoleillé, quelle somme d’amour tu as encore à donner ! Prendre à pleins bras le monde !… Trop lourd butin… La conscience lâchait prise ; elle retombait dans le gouffre incandescent, où n’était plus ni chant, ni voix d’enfant, ni Annette… rien qu’une vibration puissante de soleil…

Annette se réveillait, accoudée sur l’appui de la fenêtre.

Mais la nuit, les rêves obsédants, disparus depuis la naissance de Marc, avaient repris possession du logis. Ils venaient par groupes de trois ou quatre, qui se succédaient sans arrêt. Annette roulait de l’un à l’autre, étage par étage. Elle se levait, le matin, brisée, brûlée,