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avec les clientes, soit avec les ouvrières, soit seule en tête à tête ; et elle remarquait en sa sœur des traits qu’elle ne connaissait pas, ou qui s’étaient accentués depuis deux ou trois ans.

La caressante Sylvie, sous son charmant sourire, ne cachait plus aux yeux pénétrants d’Annette une nature un peu sèche, qui, même dans ses emballements, savait où elle allait. Elle avait un petit personnel d’ouvrières, qu’elle menait supérieurement. Avec sa finesse d’observation et son air enjôleur, elle s’était choisi et attaché des dévouements en disponibilité. Telle sa première, Olympe, beaucoup plus âgée qu’elle, plus experte au métier, excellente travailleuse, mais dépourvue d’idées, incapable de se défendre ; venue de sa province et perdue à Paris, grugée, bernée par les hommes, par les femmes, par les maîtres et par les camarades, elle ne manquait pourtant pas d’intelligence pour le voir, mais de force pour résister, et cherchait qui, sans la duper, profitât de son travail et la déchargeât de la peine de se diriger. Sylvie n’eut aucun effort à faire pour se l’asservir. Il fallait seulement veiller à la bonne entente parmi les dévouements rivaux qu’elle avait suscités dans son personnel, user adroitement de leur antagonisme pour stimuler leur zèle, et fonder, à l’instar d’un sage gouvernement, l’union des rivales sur le patriotisme du travail en commun. L’orgueil du petit atelier et le désir de se signaler aux yeux de la jeune patronne, les livraient à sa domination astucieuse qui, souvent, les faisait travailler jusqu’à épuisement. Elle donnait l’exemple ; et l’on ne se plaignait pas. Une affectueuse bourrade, une moqueuse drôlerie, dont elles riaient aux éclats, relevait l’attelage fourbu, le faisait tenir jusqu’au bout. Fières de la patronne, elles l’aimaient jalousement. — Et elle, qui entretenait leur feu, restait indifférente. Le soir, après leur départ, elle parlait d’elles à sa sœur, d’un ton de froid détachement, qui choquait Annette. Au reste, serviable