Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/47

Cette page n’a pas encore été corrigée

Le cercle de société d’Annette était à peu près limité à cette grande bourgeoisie, riche, assez distinguée, qui, nouvelle classe régnante, à force d’application a fini par se créer une ombre de tradition, — qui s’est, avec les autres attributs du pouvoir, acheté des lueurs de tout, — mais des lueurs de lampe avec un abat-jour, et qui ne craint rien tant que d’élargir le rond de lumière sur la table ou de le déplacer : car le moindre changement risquerait d’ébranler ses certitudes. Annette qui, d’instinct, aimait la lumière, l’avait cherchée où elle pouvait : en ces études d’université, qu’on avait, dans son monde, jugées prétentieuses ; mais la lumière qu’elle y trouva était bien tamisée : lumière de salles de cours et de bibliothèques ; jamais directe, réfractée. Annette y avait acquis cette hardiesse de pensée, tout abstraite, qui n’excluait pas, chez les meilleurs de ses camarades, une timidité pratique et un complet désarroi devant la réalité. — Un autre vélum s’interposait entre ses yeux et le jour du dehors : sa fortune. En dépit qu’elle en eût, cette barrière la séparait de la grande communauté. Annette ne savait même pas à quel point elle se trouvait parquée. Revers de la richesse : enclos privilégié, mais enclos, pâtis emmuré.

Et ce n’était point tout : maintenant qu’il fallait en sortir, Annette qui, depuis longtemps, en avait envisagé sans crainte l’éventualité, Annette ne le voulait plus. La condamne qui réprouve le manque de logique ! L’homme — la femme encore moins — n’est pas tout d’une pièce, surtout aux âges de transition où les instincts de révolte et de rénovation se mêlent aux habitudes conservatrices qui les paralysent. Du premier coup, l’on ne se dégage pas des préjugés de son milieu et des besoins appris. Même les âmes les plus libres. On a des regrets, des doutes, on ne voudrait rien perdre, on voudrait tout avoir. La sincère Annette, qui avait besoin d’aimer, qui avait besoin d’être libre, qui ne voulait pas