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et les combats des corps harmonieux. Et dans son injustice, il ne voyait pas l’autre combat que livrait auprès de lui sa mère…

Elle marchait. L’été sur la ville épanchait ses flots splendides. Le regard bleu du ciel baignait les cimes des maisons… Il eût fait bon être loin des villes, dans les champs !… Il n’y fallait pas compter. Annette n’avait pas les moyens de quitter Paris. Marc irait sans doute passer avec sa tante quelques semaines sur une plage de Normandie ; Annette n’irait point : sa fierté ne voulait pas être à la charge de sa sœur ; et, d’ailleurs, elle gardait, du temps où elle les avait vus avec son père, l’aversion de ces champs de foire où s’entassent les ennuis et les flirts des curieux désœuvrés. Elle resterait seule. Elle n’en souffrirait pas. Elle portait en elle et la mer et le ciel, et les couchers de soleil derrière les coteaux, et les brouillards laiteux, et les champs étendus sous le linceul de lune, et la sereine mort des nuits. Dans l’après-midi d’août, respirant l’air ardent, le vacarme des rues, parmi les flots humains, Annette traversait Paris de son pas alerte et sûr, l’allègre pas d’autrefois, bien rythmé, — voyant tout au passage, et cependant très loin… Au milieu de la chaussée poussiéreuse, ébranlée par les roues des lourds autobus, elle errait en pensée sous les dômes des bois, dans ce pays de Bourgogne où elle avait passé les jours de son enfance heureuse ; et ses narines buvaient l’odeur des mousses et des écorces. Sur les feuilles écroulées de l’automne, elle marchait ; entre les branches dépouillées le vent de pluie passait, en lui frôlant la joue de son aile mouillée ; un chant d’oiseau coulait, magique, dans le silence ; le vent de pluie passait… Et dans ces bois aussi passait la jeune Annette et son amant pleurant, et la haie d’aubépine, et les abeilles autour de la maison abandonnée… Joies et peines… Si loin !… Elle souriait