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Il était indigné ! Cette indécente gaieté, après les soucis de la veille !… Elle lui échappait. Il accusait, comme il avait entendu faire, les éternels caprices, le manque de sérieux des femmes… « la donna mobile… »

Il allait sortir, lorsque dans la corbeille une feuille de papier attira son regard. Sur un lambeau de page déchirée, quelques mots déchiffrés, de loin, sans y penser, par ses yeux fureteurs et aigus de petit rapace… Il tomba en arrêt… Ces mots… L’écriture de sa mère… Il les ramassa. Fiévreusement, il lut… d’abord par morceaux au hasard, un à un… Ces mots de flamme !… D’être taillés en pièces, interrompus au milieu de leur élan, l’émotion suggérée était plus fascinante… Puis, il les rassembla, il fouilla la corbeille ; jusqu’aux plus petits fragments, il prit tout, et il eut la patience de tout reconstituer. Ses mains tremblaient sur le secret surpris. Quand tout fut rétabli et qu’il put embrasser le poème dans son ensemble, il fut bouleversé. Il ne comprenait pas bien ; mais la sauvage ardeur de ce chant solitaire lui révélait des sources ignorées de passion et de douleur, l’exaltait, le terrassait. Se pouvait-il que ces cris dans la tempête fussent sortis de la poitrine de sa mère ?… Non, non, cela ne se pouvait pas ! Il ne le voulait pas. Il se disait qu’elle avait copié dans un livre… Mais où ?… Il ne pouvait le lui demander… Et si pourtant ce n’était pas dans un livre ?… Les larmes lui venaient, un besoin de crier son émoi, son amour, une passion de se jeter dans les bras de sa mère, à ses pieds, de lui ouvrir son cœur, de lire dans le sien… Mais il ne le pouvait pas… Et quand revint sa mère, à midi, pour le déjeuner, l’enfant, qui avait passé toute la matinée à relire, à recopier les fragments déchirés, et qui les avait enfouis dans une enveloppe sur sa poitrine, l’enfant ne lui dit rien ; et même, assis à sa table, il évita de se lever et de tourner la tête vers elle, lorsqu’elle entra. Plus