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dait à ce qu’elle le questionnât sur sa soirée ; il détestait ces questions ; mais qu’elle ne lui en fît pas, il fut vexé. Elle allait maintenant dans la chambre, rangeait, achevait de s’habiller : c’était l’heure de ses cours ; elle se préparait à sortir. Il la vit dans la glace, se regardant, une cernure aux paupières, les traits encore fatigués, mais dans les yeux, une lumière 1… et la bouche qui riait. Il en fut stupéfait. Il comptait retrouver une figure attristée : et même il était prêt, dans son cœur, à la plaindre : cela dérangea ses plans. La logique de ce petit d’homme en était agacée…

Mais Annette avait la sienne. « Le cœur a ses raisons… », qu’une raison plus haute que la raison connaît. De ce que les autres pouvaient penser, Annette ne s’inquiétait plus. Elle savait maintenant qu’il ne faut pas demander aux autres de vous comprendre. S’ils vous aiment, c’est les yeux fermés. Ils ne les ferment pas souvent !… « Qu’ils soient comme il leur plaît ! Quels qu’ils soient, je les aime. Je ne puis me passer d’aimer. Et si eux, ne m’aiment point, j’ai dans mon cœur assez d’amour et pour moi et pour eux… »

Dans le miroir, elle souriait, bien au delà de ses yeux, au feu dont ils étaient une goutte, à l’éternel Amour. Elle laissa retomber ses bras qui la coiffaient, se retourna vers son fils, vit la mine soucieuse du petit, se souvint de la soirée, lui prit le bout du menton et, détachant les syllabes, elle lui dit gaiement :

— Vous dansiez, j’en suis fort aise ! Eh bien, chantez, maintenant !

Elle rit, en voyant son expression ébahie, le caressa des yeux, l’embrassa sur le museau, et, ramassant sur la table son sac, elle partit, en disant :

— Au revoir, mon grillon !

Dans l’antichambre, il l’entendit siffler une insouciante chanson : (un talent qu’il lui enviait, en le méprisant : car elle sifflait beaucoup mieux que lui…)