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qui a peur de la douleur, qui n’est que parce qu’elle la nie, et cette vaste joie, qui est aussi douleur… Annette, les yeux fermés, écoutait. La voix se tut. Il se fit un silence d’attente. Et soudain, prit son vol de l’âme déchirée un cri de délivrance, sauvage, à tire d’aile… Diamant sur le verre, son sillage rayait la voûte de la nuit… Annette aux flancs brisés, sur le dur oreiller, au seuil de la nuit de douleur, accouchait d’une âme nouvelle…

Le cri silencieux s’éloigna en tournant, disparut dans l’abîme de la pensée. Annette demeura muette, immobile. Longtemps. — Enfin, elle se releva. Le cou rompu, les membres courbaturés. Mais l’âme était délivrée.

Une force irrésistible la poussait vers sa table. Elle ne savait pas ce qu’elle allait faire. Son cœur lui remplissait la poitrine. Elle ne pouvait le garder pour elle seule. Elle prit une plume et, dans un tourbillon de passion sans mesure, d’un rythme cahotant et heurté, d’une seule masse, elle versa le fleuve de douleur…


Tu es venu, ta main me prend, — je baise ta main.
Avec amour, avec effroi, — je baise ta main.

Tu es venu pour me détruire, Amour, je sais bien.
Mes genoux tremblent, viens ! détruis ! — Je baise ta main.

Tu mords le fruit et tu le jettes : mords mon cœur tien !
Bénie la plaie que font tes dents ! — Je baise ta main.

Tu me veux toute : quand tu as tout, tu n’en fais rien,
Tu ne laisses que des ruines. — Je baise ta main.