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jouir de son désespoir ! Ma souffrance ne regarde que moi. Que je l’aie tout entière ! Saigne, saigne, mon cœur ! Que je te poignarde, en t’obligeant à revoir tout ce que tu as perdu ! Philippe… Il était là, devant elle… L’évocation était si forte qu’elle le voyait, elle lui parlait, elle le touchait… Lui, tout ce qu’elle aimait en lui, l’attrait de ce qui ressemble et de ce qui s’oppose, l’union antagonique, brûlant du double feu de l’amour et du combat. Étreinte et lutte : c’est le même. Et cette étreinte illusoire avait une telle violence charnelle que la possédée d’amour ployait, comme Léda sous le cygne. Le torrent de passion refluait avec désespoir. — Alors, ce furent les affres que connaît toute vie féminine, qui est faite pour aimer, et à qui sa part d’aimer a été refusée, — vers ce tournant de l’âge où, quand meurt un amour, elle pense que meurt l’amour. En cette nuit où Annette, seule dans sa chambre, abandonnée de son fils, avec sa passion mutilée, agonisait dans le dénuement du cœur, la hantise de cette pensée, de l’amour perdu pour toujours, de la vie perdue sans amour, la tenait à la gorge ; elle ne lui laissait pas une minute de répit ; chassée, elle retournait. Annette essayait en vain d’occuper son esprit, elle prenait un ouvrage, le jetait, se levait, s’asseyait ; la tête sur la table, elle se tordait les mains. L’idée fixe l’affolait. Elle était à ce point de souffrance où la femme, pour échapper à soi, est prête aux pires aberrations. Annette, qui se sentait près de perdre la raison, vit passer dans le délire une poussée sauvage, l’affreux désir de descendre dans la rue, et, dans la rage d’avilir, de détruire son corps et son cœur torturés, de se prostituer au premier homme venu. Quand elle prit conscience de cette bestiale pensée, elle en cria d’horreur et cette horreur fit que l’idée infâme ne voulut plus la lâcher. Alors, comme son fils, elle songea à se tuer. Elle savait qu’elle ne serait plus maîtresse de sa hantise…

Elle s’était levée et allait vers la porte ; mais avant de