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portait sur sa langue qu’il suçait, il en était imprégné. Cette rouge grenade, cette bouche toujours ouverte, à la lèvre retroussée, trop courte ou trop remuante pour rejoindre l’autre lèvre charnue comme une cerise, il la voyait partout, en cette matinée où, sortant de chez sa mère, en faisant claquer la porte brutalement, il avait décidé de « sécher » le lycée, pour aller se promener : elle fleurissait dans le verger de nuages du beau ciel de juillet, dans les petits plis folâtres de l’eau d’une fontaine, dans le sourire distrait des femmes qui passaient. Elle lui mangeait l’esprit.

Il allait au hasard, sa blonde tête au vent d’été. Mais si distrait qu’il fut et si plein de ses folies, il sut, de ses yeux de lynx, reconnaître là-bas, sur l’autre trottoir, tante Sylvie qui venait. Il se hâta de sauter dans une rue latérale. Il ne tenait pas du tout à la rencontrer. Non qu’il craignît d’être pincé par elle en école buissonnière : elle serait bien plutôt disposée à en rire. Mais quand il avait un secret, avec elle — (ce n’était pas comme avec sa mère !) — il n’était jamais rassuré. Son instinct lui disait que les secrets de ce genre, tante Sylvie était experte à les lire…

Elle ne l’avait point vu. Il respira, soulagé. Il pourrait savourer son amour, toute la matinée. Sa démarche flâneuse, que l’amour n’empêchait pas de s’arrêter aux devantures pour regarder une cravate, une badine, un journal illustré, le menait, sans qu’il le sût, directement au but, — comme ces pigeons de Paris, qui vont, chaque matin, par-dessus les amas de maisons poussiéreuses, chercher les grands jardins et les vieux arbres frais. L’enfant les cherchait aussi. Il lui fallait leur ombre et leur roucoulement.

Il dévala tout droit de la Montagne Sainte-Geneviève, et se trouva, au sortir des antiques rues populeuses, dans les espaces clairs du calme Jardin des Plantes, avant de s’être aperçu que c’était là qu’il voulait aller.