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pas à bien. Elle jouait à agacer le petit amoureux. Cela n’avait, pour elle, pas la moindre importance. Elle n’en imaginait aucunement le sérieux pour l’enfant. Mais lui — (Qu’il était donc, malgré les apparences, le fils authentique d’Annette !) — il le prit au tragique.

Dès la première fois qu’il l’avait vue, elle avait été pour lui le Paradis défendu, ce merveilleux mirage de la femme apparaissant aux regards qui s’éveillent d’un enfant innocent. Autant que de ce qui est, la fascinante image est faite de ce qui n’est pas, autant que de ce qu’il voit, de ce qu’il ne voit pas, de ce qu’il ne sait pas, de ce qu’il craint et désire, de ce qu’il veut et ne veut pas, de l’effrayant attrait qui tend le corps adolescent à l’appel extatique et brutal de la nature. Des traits de Noémi il ne voyait peut-être pas un seul, exactement. Mais chacun de ses traits et chacun de ses mouvements, et les plis de sa robe et les boucles de ses cheveux, sa voix et son parfum, et les lueurs de ses yeux, tout faisait follement surgir du corps et du cœur qui désirent des vagues bondissantes de joie et d’espérance, et des cris de bonheur, et le besoin de pleurer.

Ce même jour où Annette navrée le voyait dur, hostile, glacé, et où la maladroite insistance pour en savoir la cause, pour arracher de lui un mot, un seul mot de tendresse, s’était attiré une réponse blessante, — ce jour précisément, le petit adolescent avait sa plus émouvante révélation du rêve enchanté. Depuis huit jours, il vivait dans une griserie. Noémi, qu’il continuait de voir, à l’insu de sa mère, et qui se servait de lui, comme d’un petit espion qui la renseignait innocemment sur tous les mouvements, au camp de l’ennemi, — Noémi, qu’il avait surprise une fois dans son salon, tout en causant, se mirant dans une glace minuscule dissimulée au fond de son mouchoir, s’était amusée à lui barbouiller les lèvres pâles avec son bâtonnet de rouge. Il avait eu dans la bouche le goût de la bouche aimée. Et depuis, il l’em-