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Et elle songeait au rêve qu’elle avait conçu jadis du cher petit compagnon, fabriqué de son sang, et blotti auprès d’elle, sans parler, devinant, partageant tous les secrets de son cœur. Qu’il manquait de tendresse ! Pourquoi était-il si dur ? On eût dit, par moments, qu’il lui en voulait. De quoi ? De trop l’aimer ?

— « Oui, c’est ma maladie, aimer trop ! On ne doit pas trop aimer. Les gens n’en ont pas besoin. Cela les gêne… Mon fils ne m’aime pas ! Il brûle de me quitter… Mon fils, si peu mon fils ! Il ne sent rien de ce que je sens ! Il ne sent rien !… »

En ces mêmes journées, le cœur du petit Marc était illuminé d’amour et de poésie. Il s’était follement épris de Noémi. C’était un de ces amours d’enfant, absurdes et dévorants. Il sait à peine ce qu’il veut de la femme : est-ce la voir, la sentir, la toucher, la goûter ? Et certes, il ne se doute point de ce qu’est la possession ; c’est lui qui est possédé. Marc défaillait presque, quand sur la petite main que Noémi lui tendait, il appliquait ses lèvres et le bout de son nez, ce nez gourmand de jeune chien qui humait, sur la frêle fleur du poignet, le mystère enivrant du souef corps féminin. Elle était tout entière pour lui une fleur et un fruit vivants. Il mourait du désir d’y imprimer — très doucement — ses dents, et de la terreur d’y céder. Et une fois, (ô honte !) il y céda… Qu’allait-il se passer ? Rouge et tremblant, il attendait les pires infortunes : l’humiliation publique, des paroles indignées, et qu’on le chassât outrageusement. Mais elle rit aux éclats ; elle l’appela :

— Petit chien !

elle lui donna une tape sur l’oreille, et lui frotta le nez une fois, deux fois, trois fois, sur la morsure, disant :

— Demande pardon !.. Vilain !

Et, depuis ce moment, elle s’avisa de jouer avec le jeune animal. Elle ne pensait pas à mal. Elle ne pensait