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Annette aurait voulu se réfugier auprès de son enfant, cacher sa tête douloureuse sous l’aile de l’amour qui ne trompe pas, dit-on — celui du fils pour la mère. Hélas ! il trompe comme les autres. Annette ne pouvait attendre de Marc aucun signe de tendresse, ni même d’intérêt. Jamais le jeune garçon n’avait paru plus froid, plus sec, plus indifférent. Des tourments qui ravageaient sa mère, il ne remarquait rien. Certes, elle s’efforçait de les lui dissimuler. Mais elle les dissimulait si mal ! Il aurait pu les lire dans ses yeux que creusait l’insomnie, sur son visage blêmi, sur ses mains amaigries, sur tout son corps miné par la passion cruelle. Il ne lisait rien. Il ne la regardait même pas. Il n’était occupé que de lui. Et ce qui se passait en lui, il le gardait pour lui. On ne le voyait qu’aux heures des repas, où il ne disait pas un mot ; les efforts que faisait Annette pour causer le rendaient plus obstiné à son mutisme. C’est à peine si elle obtenait de lui qu’au début et à la fin de la journée, il dît bonjour, bonsoir : car il avait décidé que c’étaient des simagrées ; et il n’y consentait — (pas tous les jours !) — que pour avoir la paix. Il présentait hâtivement aux lèvres de sa mère un front ennuyé, et quand il ne sortait pas pour son lycée ou pour ses affaires personnelles, — (il n’était pas facile de lui en faire rendre compte) — il s’enfermait dans son cabinet de travail, un cabinet de débarras, grand comme une armoire, coincé entre la salle à manger et sa chambre à coucher ; et là, il ne faisait pas bon aller le troubler. À table ou au foyer, il avait l’air d’un étranger. Annette se disait amèrement :

— Si je mourais, il ne pleurerait même pas.